L'oeuvre poétique de Goethe. Barbara en choix musical. 

Que puis-je maintenant espérer du Revoir,

De la fleur encor fermée de ce jour ?

Le Paradis, l'Enfer s'ouvrent devant toi ;

Quel mouvement contradictoire en ce cœur ! —

Plus de doute ! Elle s'avance à la porte du ciel,

De ses bras Elle t'élève vers Elle.

 

Ainsi tu fus admis au Paradis,

Comme si tu étais digne de cette belle vie d'éternité ;

Nul désir, nul souhait, nulle envie ne te demeuraient,

C'était là le but de ta plus intime aspiration ;

Et dans la contemplation de cette beauté unique

Tarissait même la source des larmes impatientes.

 

Bien que le jour n'agitât plus ses ailes rapides,

Il semblait chasser les minutes devant lui !

Le baiser du soir, sceau d'un fidèle engagement :

Qu'il en serait encore ainsi au prochain soleil.

Les heures se ressemblaient en leur marche gracieuse,

Comme des sœurs, mais nulle tout à fait pareille aux autres.

 

Et le baiser, le dernier, cruellement doux, tranchant

Le superbe réseau d'amours enlacées.

Et le pied tantôt se hâte, tantôt ralentit, fuyant le seuil

Dont un Chérubin de flamme l'a chassé ;

Et l'œil fixe avec chagrin le sentier ténébreux,

Il regarde en arrière, la porte est fermée.

 

Et maintenant refermé en lui-même, comme si ce cœur

Ne s'était jamais ouvert, n'avait jamais vécu d'heures

Bienheureuses avec chaque étoile du ciel à l'envi

Dans la splendeur de Sa compagnie ;

Et morosité, contrition, remords, lourdeur des soucis

De peser maintenant dans une étouffante atmosphère.

 

Est-ce donc que le monde n'est plus ? Les à-pics rocheux

Ne sont-ils plus couronnés d'ombres sacrées ?

Les moissons ne mûrissent-elles pas ? Une verte campagne

Ne conduit-elle jusqu'au fleuve à travers bosquets et pâturages ?

Et l'immensité céleste ne se cambre-t-elle pas,

Prodigue de formes et parfois sans forme ?

 

Errant avec douceur et grâce, clarté et tendresse,

Planant, comme un Séraphin, hors du chœur austère des nues,

Comme cela Lui ressemblait, là-haut dans le bleu de l'éther,

Cette forme svelte qui montait dans l'air limpide ;

Tu la vis ainsi emportée dans une danse joyeuse,

Elle, la plus aimable des plus aimables figures.

 

Mais tu ne pus la saisir que quelques instants,

Ne retenir à Sa place qu'un fantôme aérien ;

Reviens en ton cœur, tu y trouveras bien mieux,

Car elle s'y meut en figures changeantes,

Et d'entre toutes se forme l'Unique,

Mille fois plus et toujours, toujours plus aimée.

 

Comme au temps de l'accueil, elle demeura près des portes

Et fit mon bonheur, de là-haut, degré par degré ;

En personne après le dernier baiser Elle me rejoignit

Pressant encore le tout dernier sur mes lèvres :

Claire et mobile demeure l'image de l'aimée,

Écrite en lettres de feu au fond d'un cœur fidèle.

 

En ton cœur, solide comme un mur crénelé,

Qui se conserve pour Elle et La conserve en lui,

Et pour Elle se réjouit de sa propre constance,

Se connaissant lui-même seulement si Elle se manifeste,

Se sentant plus libre dans des limites tellement chéries,

Et ne battant plus que pour Lui tout devoir.

 

La faculté d'aimer, le besoin d'être

Payé de retour étaient éteints, évanouis ;

Mais la confiance joyeuse en d'heureux projets,

Des décisions, une prompte action, se retrouva tout de suite !

Quand l'Amour exalte à ce point celui qui aime,

Le plus délicieux est à ma portée ;

 

Et sans doute, grâce à Elle ! — Une intime angoisse

Tenait corps et esprit dans une importune sujétion :

Environné d'horribles images où que porte la vue,

Dans l'espace désert et oppressant du cœur vacant ;

Alors point l'espoir sur le seuil bien connu,

Elle paraît en personne dans la douce clarté du soleil.

 

À la paix de Dieu, laquelle en ce bas monde vous

Rend heureux plus que Raison — ainsi lisons-nous —,

Je compare volontiers la paix sereine de l'Amour

Dans la présence de l'Être tout-aimé ;

Là le cœur est tranquille et rien ne peut troubler

Le sentiment le plus profond, celui de Lui appartenir.

 

Dans le pur de notre cœur roule une aspiration :

À quelque chose de plus Haut, de plus Pur, d'Inconnu

Se donner par reconnaissance et d'un libre vouloir,

Déchiffrant en soi l'éternel Innominé ;

Nous appelons cela : être religieux ! — D'une telle élévation

Je me sens participer quand je me tiens devant Elle.

 

Sous son regard comme sous l'empire du soleil,

Sous son haleine comme sous les souffles printaniers,

Se met à fondre, ce qui se tint si longtemps rigide et glacé,

Le sens de soi enfoui dans des fosses hivernales ;

Nul intérêt propre, nulle volonté personnelle ne persistent :

Avec Sa venue cela frémit et disparaît.

 

C'est comme si elle disait : « Heure après heure

« La vie nous est aimablement offerte,

« Le passé nous laisse un piètre savoir,

« L'avenir, le connaître nous est interdit ;

« Et comme je redoutais la venue du soir,

« Le soleil sombra, et ce que je vis faisait encore ma joie.

 

« Fais comme moi et regarde, avec une joie tolérante,

« L'instant en face ! Nul atermoiement !

« Va vite à sa rencontre, bienveillant parce que vivant,

« Voue-toi à l'action, pour la joie, dévoue-toi à l'Amour ;

« Où tu es, que tout soit, dans une éternelle enfance,

« Et ainsi tu es tout, tu es invincible. »

 

Tu as bien parlé, pensai-je, pour viatique

Un Dieu T'accorda la faveur de l'instant,

Et chacun se sent en Ta gracieuse compagnie

Instantanément le favori du destin ;

M'effraie l'avis d'avoir à m'éloigner de toi,

À quoi me sert d'acquérir si haute sagesse ?

 

Désormais je suis loin ! La minute présente,

Je ne saurais dire ce qui lui convient ;

Elle m'offre maint bienfait en vue du Beau,

Je dois seulement me défaire de ce qui pèse ;

Me mène et me démène une irrépressible aspiration,

Et ne demeure ici nul conseil que d'intarissables larmes.

 

Car cela sourd et s'écoule ainsi sans arrêt !

Sans qu'on réussisse jamais à calmer le feu intérieur !

Et cela s'apaise et se déchire violemment en mon cœur

Là où Vie et Mort hideusement se combattent.

Que l'on donne médecine au corps pour adoucir sa peine ;

Il manque à l'esprit seulement décision et vouloir.

 

Une intuition lui manque : comment suppléer Son absence ?

Et il multiplie Son image de mille manières.

C'est l'hésitation parfois, tantôt c'est l'emportement,

Indécis pour l'heure, maintenant dans le plus pur éclat ;

Comment cela pourrait-il servir à la plus piètre consolation,

Le flux et le reflux, l'allée comme la venue ?

 

Quittez-moi ici, fidèles compagnons de route !

Laissez-moi seul près du roc, dans le marais, sur la mousse ;

Toujours clos pour moi seul ! pour vous le monde reste ouvert,

La terre immense, le ciel auguste et grand ;

Observez, cherchez, rassemblez les éléments,

Le secret de la Nature reste à balbutier !

 

Pour moi le Tout est perdu, je le suis moi-même,

Moi qui fus, il y a peu encore, le favori des Dieux ;

Ils me mirent à l'épreuve, m'envoyèrent des Pandores,

Si riches en bienfaits, plus riches encore en danger ;

Ils me poussèrent vers la bouche dispensatrice du bonheur,

Ils m'en séparent, et me conduisent à ma perte

 

 

Traces de lumière : Goethe, Elégie à Marienbad

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