Lucas Bielli, psychanalyste à Montpellier et Guylène Dubois, psychanalyste à Sète animent la chronique hebdomadaire Radio divan, pour une psychanalyse populaire. Deux voix pour explorer un sujet psy.

Gérard Lanvin dans sa chanson Appel à l’aide évoque la violence conjugale.

Le contexte de la chanson

Gérard Lanvin, acteur, chanteur et réalisateur, né en 1950 à Boulogne Billancourt commence sa carrière d’acteur dans les années 1975. Il a reçu le César du meilleur acteur en 1995 pour le film de Nicole Garcia le Fils préféré. En 2021,  il réalise avec son fils Manu Lanvin  l’album Ici-bàs. Appel à l’aide est la deuxième chanson de l’album et évoque la solitude d’une femme dans son couple. Retenons les paroles suivantes : Isolée de tous Vivre cachée Sans être aidée Personne n’a voulu écouter les cris les coups une vie dévastée Que c’est dur d’aimer jusqu’à en crever Envie de partir Impossible de fuir

Interpréter la citation

Parler de violence conjugale c’est parler d’emprise associée à de la soumission et de l’attachement à l’auteur des actes. La pulsion d’emprise désigne une pulsion qui vise l’appropriation de l’objet. Elle apparaît pour la première fois en 1905 dans les Trois essais sur la théorie sexuelle. La pulsion d’emprise est mise au service de la sexualité. A partir de 1920, S. Freud fait de la pulsion d’emprise un dérivé de la pulsion de mort. 

Liliane Daligand, auteure des Violences conjugales dans la collection Que sais-je ? écrit La pulsion d’emprise, même si elle passe spectaculairement par la chair, comme par l’agression sexuelle ou les injures ou les coups, est une force qui vise à séparer la tête du corps de la victime. Le corps, souvent, devient inerte, inhibé et peu sensoriel alors que la tête occupe toute la place par son hyperactivité de pensée. Elle va être emplie par les injections de langage d’autrui, le « bourrage de crâne », les attitudes de l’auteur présentes ou remémorées, les actions répétées qui rendent difficile toute génération personnelle et originale de pensées au profit d’un ressassement d’idées toujours identiques.

Au départ d’une violence conjugale, il y a un homme séduisant et attentionné à l’égard de sa femme. A cette phase de séduction, suit un attachement qui devient exclusif et renfermant, jusqu’à un isolement progressif. C’est souvent à l’annonce d’un changement dans la vie du couple (une grossesse par-exemple) que la situation bascule. Et le rapport victime / agresseur s’installe et se matérialise avec la naissance d’un conflit. La victime minimise les faits, l’agresseur explose de violences qu’il justifie en culpabilisant la victime, qui demande pardon. S’installe une lune de miel qui renforce la position de l’agresseur sur sa victime. Jusqu’à la fois suivante où le cycle reprend : tension / Désaccord, minimisation des faits par la victime, violences verbales et physiques, culpabilité de la victime, réconciliation et renforcement des rôles. 

Conclusion

Qu’est-ce qui pousse un sujet à en détruire un autre ? Selon Freud, la violence sociale est la plus dévastatrice pour la vie psychique. Les deux psychanalystes Laurie Laufer et Thamy Ayouch se référent au texte Pourquoi la guerre ? où Freud définit la pulsion de mort qui serait, je cite, le paradoxe de la destructivité où le sujet se sauve en détruisant l’autre. 

Freud toujours, aborde la différence sexuelle par l’anatomie et caractérise les femmes comme celles qui n’ont pas, qui sont marquées par un moins, un organe en moins. Pour Freud, cette absence du pénis chez les femmes appelle une compensation dont le sujet homme craint de faire les frais.  Les hommes ont quelque chose à défendre, à conserver, quelque chose qu’ils sont menacés de perdre. La relation d’emprise est une action d’appropriation, de possession, et aussi de domination où l’autre est maintenu dans un état de soumission et de dépendance et enfin une action d’empreinte sur l’autre qui se trouve marqué physiquement et psychiquement. Détruire l’autre pour le ou la conserver.  Comme une sorte de boucle pulsionnelle où chacun est pris dans ses pulsions de répétitions.  Les conséquences sont graves : pour la victime de la violence peur, culpabilité, perte de l’estime de soi, dévalorisation, honte, trauma psychique, et parfois la mort. 

Une autre approche psychopathologique serait celle de la mélancolie dans laquelle le sujet considère qu’il ne vaut pas mieux que la situation qu’il vit. La mélancolie étant la souffrance sans angoisse, qui conduit à la disparition du sujet. Les deux psychanalystes Laurie Laufer et Thamy Ayouch rapprochent cette notion freudienne de la mélancolie à la mélancolie de  genre que développe  Judith Butler. Laurie Laufer et  Thamy Ayouch soutiennent que certaines situations de violence conjugale viennent de postures subjectives qui tentent de se décoller des assignations de genre. Je cite Les violences contre les femmes s’inscrivent donc, en premier lieu, dans un système sexe/genre de hiérarchisation des rapports sociaux de sexe, et notamment de domination masculine. L’approche féministe de ces violences révèle leur irréductible dimension politique : elles résultent d’un mécanisme de contrôle social maintenant la subordination des femmes par les hommes. L’approche analytique s’avère utile dans la mesure où elle déconstruit l’organisation sociale dominant / dominé. Dans la proximité de la vie familiale, il y aurait un dispositif de reproduction des normes de genre et des stéréotypes de normes sexuées. La famille, le couple véhiculent des idéaux où les sujets accomplissent, reproduisent  ces normes sociales. L’analyse de la violence conjugale passe donc par une dé-construction de la place de la femme dans l’organisation représentée dans leur imaginaire inconscient. Il ne s’agit de nier la subjectivité de chaque femme victime de violence, mais de considérer aussi la vulnérabilité sociale dont elle peut être victime. Et pour rejoindre Freud lorsqu’il écrit que “la psychologie individuelle est aussi d’emblée et simultanément une psychologie sociale” dans Essais de psychanalyse, Payot, 1981, p. 124 l’analyse serait là un accompagnement à la dé-construction des normes sociales et collectives. 

Radio divan, pour une psychanalyse populaire #64, La violence conjugale

Guylène DUBOIS


Guylène Dubois est psychanalyste à Sète et anime deux émissions sur FM-PLUS : Radio divan, pour une psychanalyse populaire et l'Afrique dans tous ses états. Son site internet : http://surledivansetois.com


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